Le récent combat de Landarkhel dans lequel le soldat de 1ère classe Clément CHAMARIER a succombé, samedi soir, a aussi fait deux blessés dont un caporal-chef grièvement touché aux jambes. Alors que la reconnaissance à nos soldats tués en Afghanistan - comme ailleurs - connaît un véritable déficit civique, que dire de celle qui devrait aussi aller aux blessés de guerre (et d’autres missions) dont le nombre est bien plus élevé que celui des morts. Ceux dont la situation est plus difficile du fait d’une existence qui, désormais, doit porter un handicap parfois définitif (1). Ils sont actuellement environ 600 à avoir été blessés en Afghanistan: polycriblés, amputés, avec des séquelles à vie lorsque la tête ou la colonne vertébrale sont touchées…
Hommes du 126e RI à l'entraînement au CENTAC avant leur départ en Afghanistan. La mise en sûreté et l'évacuation d'un blessé sous le feu est un exercice systématique
De nos jours, la protection du combattant face à toute la ferraille qui peut voler sur le champ de bataille a été sensiblement accrue. La volonté de préserver une “substance combattante” de plus en plus rare dans nos armées professionnelles, ainsi que la réactivité de l’opinion publique devant les pertes humaines, expliquent une transformation qui se lit directement dans le poids des tenues de combat actuelles. Qu’ils soient Américains, Canadiens, Britanniques, Français ou autres, les soldats de la coalition portent des casques et des gilets pare-balles dont le matériau le plus communément rencontré est le kevlar. Les gilets pare-balles et pare-éclats - qui se confondent maintenant avec le gilet d’assaut dans lequel viennent se loger les chargeurs et autres équipements - sont tissés à partir de fibres de très haute résistance comme les para-aramides (Kevlar, Twaron, Goldflex) ou les polyéthylènes (Spectra, Dyneema, Zylon). Aujourd’hui, il existe plusieurs types de gilets dont les caractéristiques de protection varient selon la vélocité des projectiles à stopper. Des poches permettent de glisser, soit devant soit derrière, des plaques de protection additionnelles en métal ou en céramique avec pour conséquence un alourdissement sensible d’un gilet déjà pesant… À l’heure actuelle, le standard de protection maximum (niveau 4) concernant les gilets pare-balles permet d’arrêter une munition d’une vélocité de 878 m/s à l’impact.
L'Armée française utilise le gilet pare-balles réglementaire dit de série 3 d'un poids de 10,5 kg.
Ce renforcement de la protection ne va pas sans poser plusieurs paradoxes cependant. Le premier peut tomber sous le sens, encore faut-il le dire: le soldat étant alourdi il est plus lent donc plus vulnérable. Sa résistance dans l’effort est limitée par le poids et l’encombrement du gilet. Deuxième paradoxe, certains projectiles conservent une énergie cinétique suffisamment importante pour pénétrer le gilet sans pouvoir ressortir du corps. Cela complique l’intervention chirurgicale. Troisième paradoxe lié au renforcement de la protection, le choc de l’impact est tel - n’étant plus absorbé en partie par la pénétration - que même sans pénétrer le coup peut causer de graves blessures internes: lésions des cervicales et de la moëlle épinière, éclatement d'organes... Nous touchons ici aux limites du “protéger à tout prix” qui, s’il a incontestablement sauvé de nombreux soldats, a aussi augmenté sensiblement le nombre de paralytiques.
Quoi qu’il en soit le délai de l’intervention sanitaire qui suit une blessure au cours d’un combat fait plus que jamais la différence entre un mort et un blessé. La règle est connue des médecins militaires depuis longtemps: c’est la “golden hour” qui correspond à un délai d’intervention médico-chirurgical d’une heure au delà duquel les chances de survie du blessé déclinent sensiblement. C’est avec l’utilisation massive de l’hélicoptère - qui permet une intervention rapide sur le champ de bataille même, et en des lieux inaccessibles à l’avion – durant la Guerre du Vietnam, que les Américains parviennent à augmenter considérablement les chances de survie de leurs blessés graves en tenant la golden hour. L’évacuation médicale par hélicoptère sur le lieu même des combats est, depuis, devenue une véritable spécialité américaine. Aujourd’hui, en Afghanistan, les US MEDEVAC, héliportés en quelques minutes auprès des soldats blessés, administrent déjà les premiers soins dans l’hélicoptère même: transfusions, réanimation, massages cardiaques, diagnostics et préparation de l’intervention chirurgicale… Lorsque les blessés arrivent à l’antenne chirurgicale ou à l’hôpital (la structure médico-chirurgicale de théâtre), leur taux de survie reste encore important.
Réalisant un reportage pour la chaîne qatari Al Jazeera, le journaliste indépendant Vaughan SMITH, a récemment montré combien cette procédure du “pick and save”, mise en pratique par les hommes du 214e Régiment d'aviation de l'US Army en Afghanistan, sauvait de nombreuses vies. Certaines blessures étant malheureusement trop graves, il n’est quasiment pas possible de sauver le soldat. Ce fut le cas pour Clément CHAMARIER où, malgré l’intervention d’un infirmier présent sur place, les premiers soins n’ont pu préserver la vie du soldat.
Les réalités du conflit afghan ont obligé l’Armée française à faire un effort particulier en matière de soins de première urgence. À défaut de pouvoir disposer d’autant d’hélicoptères que les Américains, nos forces intègrent systématiquement dans les missions un personnel de santé bien formé dont la mission est de conserver au mieux le bénéfice de la golden hour. Plusieurs d’entre eux - les Infirmiers de Classe Supérieure (ICS) Mathieu THOINETTE et Thibault MILOCHE - ont d’ailleurs payé de leur vie cette indispensable "médicalisation de l'avant" et leur présence au sein des unités de combat.
Dès que l'état de santé du soldat blessé est stabilisé, il est rapidement rapatrié en France. Cela peut se faire à partir d’avions ravitailleurs C135-FR équipés du kit MORPHEE (Module de Réanimation pour Patient à Haute Élongation d’Évacuation), notamment s'il y a un grand nombre de blessés comme ce fut le cas en 2008 au lendemain de la bataille de Sper Kunday. Ce kit d’adaptation, dont il existe deux versions (une lourde et une légère) donne à nos Forces armées une capacité d’évacuation collective, tout en dispensant les services d’une unité hospitalière de soins intensifs. De retour en France, le blessé est dirigé dans les Hôpitaux d’Instruction des Armées (HIA) de la région parisienne. Au nombre de 9, les HIA relèvent du Service de Santé des Armées (SSA). Celui de Percy, situé à Clamart, est l’un des plus importants, car on y trouve plusieurs spécialités chirurgicales (neurochirurgie, orthopédie et traumatologie, stomatologie et maxillo-faciale, plastique, thoracique) ainsi qu'un centre de traitement des brûlés.
Au-delà du traitement médical de la blessure se pose aussi la question – celle-ci autrement plus durable - du traitement de la souffrance morale et de la réadaptation à la vie du soldat, souvent devenu infirme et exclu, de fait, de la vie militaire. La résilience n’est pas seulement une question qui se pose de manière collective, à l’échelle de la société, comme nous l’avions déjà soulevé dans des articles précédents. Elle se pose aussi à l’échelle de l’individu qui doit redonner un sens à son existence et doit réapprendre à vivre. Dans et autour de l’institution militaire, il existe actuellement des structures qui prennent en charge le suivi des blessés et s’occupent de leur réinsertion, en plus des unités d'origine qui continuent de jouer un rôle important auprès des soldats comme de leur famille. La Cellule d’Aide aux Blessés de l’Armée de Terre (CABAT), commandée par le Lieutenant-colonel Thierry MALOUX, ainsi que l’Institution Nationale des Invalides (INI) sont les plus connues. Se situant davantage dans le milieu associatif, mais en lien étroit avec le milieu militaire, on trouvera également les associations du Général Bernard THORETTE, Terre fraternité, du Général Michel BARRO, l'Association pour le Développement des Oeuvres d'Entraide dans l'Armée (ADO), et de l’Amiral Jacques LANXADE, Solidarité Défense dont le travail bénévole reste exemplaire. Dans cette présentation, on ne s’étonnera pas de la prééminence de l’Armée de Terre qui contribue à plus de 90% des pertes (tués et blessés).
(1) Sur l'action de l'Armée en faveur des blessés et des familles de soldats blessés et tués, lire l'article de (Jean) GUISNEL, "L'Armée renforce son soutien aux soldats victimes des combats et à leurs familles", Défense ouverte du 16 février 2011.