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BAPTÊME DU FEU POUR UN JEUNE SAINT-CYRIEN EN AFGHANISTAN

Récit du Lieutenant Benoît DE GUILLEBON


    Quel jeune lieutenant ne s’est pas un jour demandé s’il serait capable, dès le début de sa carrière, de commander sa section au feu. Plus que le simple récit de mon premier contact, je tenterai de donner des éléments de réponse à cette sempiternelle question.

    Commençons par dresser le tableau de la situation tactique du lieu de l’engagement du GTIA Kapisa, réparti sur les FOB de Nijrab et de Tagab dans la province de la Kapisa. La vallée d’Alasay est le centre névralgique de l’activité insurgée en Kapisa. Sans pouvoir dénombrer précisément le volume ennemi, il est estimé entre 100 et 200 combattants pouvant être renforcés en quelques heures. Ils sont organisés en plusieurs rideaux défensifs s’appuyant sur les mouvements de terrain situés de part et d’autre de la vallée. Celle-ci, large d’environ deux kilomètres, s’étend en profondeur sur huit kilomètres d’ouest en est. Deux axes principaux la sillonnent : l’un au nord et l’autre au sud.

    Aujourd’hui, 7 mars 2009, la 2e compagnie du 27e bataillon de chasseurs alpins renforcée de deux sections d’infanterie de la 4e compagnie et d’une section d‘appui mortiers du 93e régiment d’artillerie de montagne, a pour mission de reconnaître l’axe sud jusqu’au troisième rideau défensif afin d’évaluer la réaction de l’ennemi en vue d’une mission future du GTIA ayant pour but d’appuyer la construction de deux COP de l’ANA.

Chef de pièce de mortier de 120 mm du 93e Régiment d'Artillerie de Montagne en Afghanistan (2009)
    Quatre sections d’infanterie, une patrouille blindée, une section du génie du 2e régiment étranger de génie, les appuis de la compagnie avec un VAB canon de 20 mm, un groupe de tireurs d’élite, une équipe JTAC et une section d’appui mortiers sont déployés sur le terrain. Ma section est en position intermédiaire dans la vallée à hauteur du deuxième rideau défensif ennemi. Elle a pour mission de tenir une portion de l’axe pour permettre le désengagement de la vallée en sûreté.

    Ayant posé le décor, nous pouvons entrer dans le vif du sujet que je traiterai en deux parties. Une partie décrivant chronologiquement la mission, puis une deuxième pour en analyser les différentes phases. FOB de Nijrab, 2h30 : réveil. 3h15 : la section en ordre de combat est rassemblée au niveau des VAB. 3h30 : départ pour Tagab. A 4h00, en passant au niveau de la FOB de Tagab le commandant de la 2e compagnie rejoint notre rame de véhicules et s’installera avec mon groupe Milan sur les hauteurs Sud dominant l’axe et le centre de la vallée. Une fois ces derniers en appui, je démotorise un peu plus loin avec les deux groupes de combat. 5h00, je profite de l’obscurité pour étirer mon dispositif le long d’un village et ainsi écarter le risque de débordement et d’une embuscade sur le chemin du retour lors du désengagement de la compagnie. En parallèle, les commandos de montagne en soutien de l’ANA mènent une patrouille au plus loin dans la vallée.

    6h30, premier contact avec les insurgés. Un soldat de l’ANA trouve la mort, un deuxième est porté disparu et un troisième est blessé par balles. La section de réserve de la compagnie intervient avec le VAB sanitaire pour procéder à l’évacuation du blessé et du mort. De ma position, je n’entends qu’un échange de coups de feu et je ne suis pas encore réellement impliqué dans le combat. Seules quelques roquettes tirées en tir courbe atteignent la zone de mes VAB dont une à moins de cinquante mètres. Elle n’explose pas. Cela donnera lieu à la réflexion du capitaine adjoint : « Tout va bien alors si elle n’a pas pété ! ».

    L’ANA parvient peu à peu à se désengager appuyée par les commandos de montagne. Pendant ce temps, la section qui a patrouillé au plus profond dans la vallée, a pu reconnaître la future zone d’installation du COP. 9h00, le commandant d’unité ordonne le désengagement du SGTIA . Je recueille un à un les éléments les plus avancés dans la vallée. Au passage des derniers, ma section repère un personnel en treillis ANA armé d’un RPG 7, environ 500 m à notre Est, à proximité du village de Darwali. Le soldat de l’ANA étant toujours porté disparu, le capitaine a préparé entre temps une manoeuvre pour aller le récupérer. La section jonquille 20 qui a pour mission de recueillir ce personnel, arrive au niveau du village de Darwali vers 10h00 et ouvre le feu sur deux insurgés armés. Le premier, blessé, sera évacué tandis que le second réussit à prendre la fuite.

    Une fois le désengagement de jonquille 20 effectué, vient mon tour. Je regagne l’axe à 200 m au Sud de ma position. Les VAB restent en appui et avanceront au dernier moment pour permettre de remotoriser ma section à l’abri, derrière les premières maisons du village de Shekut. Au moment où les premiers éléments arrivent à l’entrée du village, les insurgés ouvrent le feu. Nous sommes pris à parti depuis des murets dans le découvert à l’Est, les fenêtres et les toits du village à l’Ouest, les arbres dans le wadi situé au Nord. Il y a même des tireurs ennemis qui se dévoilent au Sud de l’axe dans une lisière et dans un bosquet. Certains sont en treillis de l’ANA.

    Rapidement, je me rends compte que l’ennemi a réussi à s’imbriquer dans une partie de mon dispositif (son mode d’action préféré) et à couper le chemin de repli d’un groupe. Nous sommes encerclés et isolés du reste de la compagnie. En dépit du volume ennemi et de l’intensité des feux, nous parvenons cependant à rompre rapidement le contact, ce qui prendra tout de même une dizaine de minutes. Une fois remotorisés, nous essuyons encore des tirs sur plus d’un kilomètre avant de rallier le reste du SGTIA. Le retour sur FOB où nous arrivons vers 13h30 s’effectue sans encombre. Dans le feu de l’action tout s’est passé très vite. Il m’a fallu attendre le retour sur Nijrab pour analyser dans le détail ce que nous venions de vivre.

Soldats français dans la vallée d'Alasay le vendredi 6 février 2009. Le véhicule en appui est un VAB armé d'une mitrailleuse de 12,7 mm

    Revenons donc sur le coeur de notre engagement : notre réaction à l’embuscade. De 7h30 à 10h l’action principale se déroulant à plus d’un kilomètre de ma position, j’en ai profité pour planifier mon désengagement. Quand je reçois l’ordre de me retirer, après presque trois heures de contact à l’Est de ma position, il règne à présent un silence pesant. Plusieurs colonnes de femmes et d’enfants ont quitté le village, ce qui généralement n’est pas bon signe. La vigilance est accrue pour tous les chasseurs qui guettent le moindre détail anormal.

    Puis, d’un coup, l’embuscade éclate. Chacun se poste et riposte. L’ennemi était invisible. Son embuscade était presque parfaite à ceci près que le coup d’arrêt n’a blessé personne. Avant de réagir, je dois prendre en compte plusieurs facteurs. Tout d’abord l’ennemi, dont il faut rapidement estimer volume et position. Ensuite les « frictions » propres à tout engagement qui se sont traduites ici par la perte de la liaison avec un groupe qui s’est engouffré dans le village d’où venaient certains tirs et, ce que je n’avais pas prévu, l’impossibilité de communiquer par radio avec tous les éléments sous le feu en raison d’un volume sonore trop élevé.

    Malgré tous ces paramètres, la décision doit être la plus rapide possible. Je donne l’ordre au premier groupe de remotoriser. Un tir de missile du groupe Milan toujours en appui nous offre un court répit. Néanmoins, je ne vois toujours pas ressortir le groupe entré dans le village. J’envisage alors plusieurs solutions pour aller rapidement le recueillir avec ses éventuels blessés et me prépare à réengager le premier groupe. Heureusement, je le vois ressortir une centaine de mètres plus loin. Les roquettes de RPG 7 tombent toujours à proximité des VAB. Je m’assure que personne ne soit oublié sur le terrain lors du décrochage. Une fois que j’en ai la certitude, toujours appuyé par mes mitrailleuses de 12.7 mm, je me désengage à mon tour. Les VAB s’extraient à vive allure de la kill zone.

    En rejoignant la compagnie, nous ne sommes plus sous le feu, les 12.7 se calment, les VAB ralentissent. Mais il s’agit à présent de rester concentré et de ne pas se relâcher avant le retour sur la FOB. Il faut à nouveau être en mesure de réagir à une autre embuscade ou à un IED. L’anticipation reprend à nouveau le dessus sur la réaction ce qui rend la conduite de la manoeuvre plus aisée.

    Ce que je retiens de ce combat : lors d’un contact de haute intensité il reste le réflexe. Le drill trouve donc ici tout son aboutissement. Pour le reste, tout est affaire d’adaptation à la situation ennemie et au terrain, mais les fondamentaux du combat et du commandement ne changent pas. Individuellement, la bonne réaction a été conditionnée par la maîtrise des actes réflexes et collectivement, par la détermination et la cohésion de toute la section. Pour le chef, il faut ajouter au préalable la conscience et surtout l’acceptation du risque et de ses conséquences ainsi que la capacité de s’adapter à un événement imprévu. De la rapidité et de la pertinence de la réaction dépend la survie de la section. Cette rapidité n’a été rendue possible que par l’entraînement.

    C’est en effet celui-ci qui sera déterminant dans tout engagement. Mais en considérant la guerre comme une science expérimentale, il faut accepter que, par nature, l’expérience vienne infirmer un présupposé, que l’inattendu survienne ou autrement dit, que le combat ne soit pas le reflet de l’entraînement. Prenons la mission en tant qu’expérience au sens scientifique du terme. Au préalable, se situe la MRT, version militaire du protocole expérimental, qui aboutit à l’ordre initial. Ce protocole est basé sur des suppositions, telles que les modes d’actions ennemis. Jusqu’à présent, tout est scientifiquement élaboré et, par conséquent, peut s’enseigner en école. Il ne s’agit ni plus ni moins que de la théorie.

Combat dans la vallée d'Alasay le vendredi 6 février 2009
   
    Le passage à la pratique est plus délicat. De fait, pour un même protocole, le résultat d’une expérience n’est pas toujours identique, notamment car l’environnement est plus complexe que le modèle que l’on s’en fait. Nous entrons alors dans un autre domaine, celui de la réactivité et de l’adaptation qui n’est pas enseigné en tant que tel mais qui s’acquiert en école. En effet, le but de l’entrainement n’est pas de donner une manoeuvre toute faite pour répondre à une situation, mais plutôt de créer un catalogue de réactions à différentes situations, desquelles se rapprochera la situation réelle, permettant par analogie une sage et rapide décision au moment voulu. L’inattendu peut survenir : aucune situation vécue ne s’en rapproche. Dans ce cas, le bénéfice de l’entraînement est d’avoir développé la capacité d’adaptation.

    La solution viendra d’autant plus vite que l’on est expérimenté. C’est là que le jeune saint-cyrien doit compenser son inexpérience initiale par une « expérience théorique » tirée de l’étude des retours d’expérience permettant ainsi de s’approprier l’expérience des prédécesseurs. Ainsi, j’ai eu la chance les deux semaines précédant l’arrivée de ma section sur le théâtre, d’être binômé avec un adjudant, chef de section du 8e RPIMA, ayant passé 5 mois ici. À mon tour, je retransmettrai au chef de section du 3e RIMA qui me relèvera dans quelques mois toute l’expérience que j’ai acquise au cours des opérations que j’ai conduites avec ma section.

    Comment ne pas établir maintenant un parallèle avec la pratique de la montagne ? Une course en montagne se prépare toujours par une étude détaillée du topo, laissant néanmoins l’incertitude sur la météo et l’ensemble des risques objectifs. Pour parer à cet imprévu, la cordée doit faire preuve d’une bonne capacité de réaction qui dépend de sa connaissance technique, de son expérience et de sa cohésion. Le combat se déroule de la même manière. Le risque objectif existe (IED, embuscade) et, de même que pour franchir un passage exposé on placera plus de points de protection, en combat ce sera un bon appui. Dans ce domaine l’expérience fait gagner en fluidité que ce soit dans la pose des points de protections ou dans la « lecture du terrain ».

    Jusqu’ici tout est dans l’anticipation, fruit de l’apprentissage et bagage du saint-cyrien à son arrivée en bataillon. Mais par définition, l’imprévu sort de ce cadre. Aussi important que la maîtrise de la théorie et que la réactivité, s’ajoute inévitablement le facteur humain. Comme en montagne où l’on « teste » sa cordée sur une sortie facile avant une course engagée, il est nécessaire de bien connaître sa section donc de s’être entrainé avec elle au préalable.

    Pour conclure, je pense qu’un jeune Saint-Cyrien possède tous les outils pour être engagé au combat. Bien sûr, reste l’épreuve du feu qui ne peut être reproduite à l’entraînement mais il faut alors oser commander ses hommes au feu, comme en montagne on ose sa première sortie en tête de cordée.

Lieutenant Benoît de Guillebon, Chef de la 1ère section de la 4e compagnie du 27e bataillon de chasseurs alpins


    Lexique des abréviations

GTIA - Groupement Tactique Interarmes
FOB - Forward Operationnal Base
COP - Combat Oupost
ANA - armée nationale afghane
JTAC - Joint Tactical Air Controler
SGTIA - Sous-Groupement Tactique Interarmes
IED - Improvised Explosive Device
MRT - Méthode de Raisonnement Tactique

NB: Les
photographies, en provenance de l'excellent site Theatrum Belli, ont été ajoutées par M. NGUYEN à des fins d'illustration.

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