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Hôtel de Matignon – 57, rue de Varenne 75007 PARIS
PREMIER MINISTRE
SERVICE DE PRESSE Paris, le 1er avril 2008
Intervention du Premier Ministre
Action de la France en Afghanistan
Assemblée nationale, mardi 1er avril 2008
SEUL LE PRONONCE FAIT FOI


    Le 11 septembre 2001, le monde découvrait avec effroi la violence du terrorisme de masse.  Ce jour là, un défi sanglant et morbide était lancé à toute la communauté internationale. La source de cet attentat ce situait en Afghanistan avec le soutien du régime obscurantiste des talibans.

    Dès l’automne 2001, 6 résolutions du conseil de sécurité de l’ONU vinrent préciser le cadre dans lequel devait s’exercer la réponse des nations. La résolution 1368, notamment, ouvrait le droit à la légitime défense, la 1373 appelait à la collaboration de tous les Etats contre le terrorisme, la 1378 définissait le cadre dans lequel devait s’inscrire l’avenir démocratique de l’Afghanistan, la 1386 créait la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité dont le mandat a été renouvelé chaque année et étendu progressivement à l’ensemble de l’Afghanistan.

    Le 7 octobre 2001, les Etats-Unis engageaient les opérations militaires, épaulés, notamment, par la France qui avait ouvert son espace aérien, noué une coopération navale, offert son appui en matière de renseignements.

    Le 3 octobre 2001, Lionel Jospin, alors Premier Ministre, venait dans cet hémicycle pour exposer la position française suite aux attentats du 11 septembre. Puis, le 21 novembre, il venait préciser les termes de l’engagement de la France en Afghanistan. Depuis, cette participation n’a cessé d’évoluer en fonctions des besoins et des circonstances.

Monsieur le Président,
Messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les députés,

    Sur la demande de votre Président, Bernard ACCOYER, et de l’opposition, le Président de la République a souhaité que la représentation nationale soit informée de la politique de la France en Afghanistan. Il a voulu ce débat afin d’éclairer les décisions que prendra notre pays; décisions qui ne sont pas encore arrêtées.

    Tout au long de la Vème République, et contrairement à ce qu’on laisse entendre, le Parlement a été régulièrement informé des opérations militaires. Mais il est exact qu’il ne partage pas, sauf exception, la responsabilité de l’engagement de nos forces.

    Une raison l’explique. La Constitution de la Veme République ne le prescrit pas. Son article 35 (« la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement ») est aujourd’hui tombé en désuétude. Les formes modernes de la guerre nous ont éloigné de cet article. L’engagement des forces militaires est du ressort du pouvoir exécutif et notamment du Président de la République, chef des armées. Notre situation est, en cela, comparable à celle de la Grande Bretagne. Cette prérogative du pouvoir exécutif n’exclut pas l’information, voire le débat et je souhaite que celui-ci soit utilisé de manière plus systématique.

    Et cela d’autant plus que depuis les années 1980, les grands engagements stratégiques et militaires de notre pays ont tous été conclus dans un esprit d’union nationale et nous devons nous en féliciter.

    L’implication du Parlement relève de l’information et du débat en fonction des situations.

- L’opération sur Kolwezi en 1978 avait donné lieu à une information de la
représentation nationale, de même que notre intervention au Tchad en 1983.
- Notre intervention au Kosovo, en mars 1999, avait été l’occasion d’un débat sans vote, deux jours après le début des bombardements.
- En 2006, un débat a eu lieu deux mois après le vote de la résolution créant la FINUL II.
- Enfin, la participation de la France aux opérations militaires en Afghanistan à partir de décembre 2001 a donné lieu à un débat sans vote, après une intervention de Lionel Jospin.

    Seul notre engagement militaire au cours de la première guerre du Golfe a fait l’objet d’un vote consécutif au débat, selon la procédure de l’article 49 alinéa 1er, c'est-à-dire l’engagement de la responsabilité du gouvernement. Il s’agissait d’une opération massive analogue à une entrée en guerre contre un Etat souverain qui avait envahi son voisin, et personne ici ne peut confondre cet événement avec celui qui nous occupe à présent.

    Dois-je également rappeler que ce vote est intervenu le 16 janvier 1991, à quelques heures du déclenchement des hostilités armées, et alors que l’ensemble du dispositif DAGUET était déjà positionné depuis plusieurs mois ! Certains d’entre-vous ont participé à ce débat et en conservent un souvenir aigu. Pas moi, car je me trouvais à cet instant auprès des forces françaises en Arabie saoudite…

    Aujourd’hui, une partie de l’opposition souhaite un vote. Je lui réponds en reprenant les propres termes de Lionel Jospin du 9 octobre 2001 lors d’une réponse à une question d’actualité posée par Alain Bocquet qui réclamait un débat avec vote : « vous savez – disait-il dans cet hémicycle - que nous ne pouvons pas faire appel à l’article 35, qui prévoit la déclaration de guerre, car ce n’est pas de cela qu’il s’agit; vous savez qu’on peut toujours utiliser l’article 49-1, mais celui-ci suppose un vote de confiance. […] Ce n’est pas un article prévu pour l’engagement de la France dans ce genre d’opérations. Si bien que nous avons utilisé l’article 132 du règlement ».

    Je ne puis être plus clair que mon prédécesseur qui avait raison de considérer que la procédure du vote de confiance n’est pas adaptée à l’engagement de nos forces dans une opération de maintien de la paix comme nous en conduisons en Côte d’Ivoire, au Liban ou au Kosovo.

    Telle est la situation institutionnelle actuelle.

    Cinquante ans après la création de la Veme République, il vous sera cependant bientôt proposé de renforcer le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et d’intervention militaire. L’avant projet de loi constitutionnelle prévoit :

- Que le parlement sera tenu informé dans les meilleurs délais de l’envoi de nos forces sur des théâtres d’opérations extérieurs. Il autorisera la prolongation éventuelle de ces opérations au-delà de six mois.
- Que les deux assemblées auront le pouvoir de voter des résolutions.
- Qu’elles pourront le faire également sur les sujets de politique étrangère.

    Je ne doute pas que ces dispositions feront l’unanimité sur vos bancs !

    Mesdames et messieurs les députés,

    Nous sommes en Afghanistan depuis décembre 2001 et il s’agit de prolonger un effort engagé de longue date.

    Aujourd’hui, avec un peu plus de 2300 hommes, dont 1700 dans la FIAS, sur près de 61 000, l’engagement militaire de la France la situe au 7e rang des 40 nations contributrices de troupes.

    Nous nous plaçons ainsi entre les Pays Bas et la Pologne, loin derrière les contributions de plusieurs de nos partenaires européens, qui sont presque tous présents sur le théâtre afghan : Grande-Bretagne, près de 8600 hommes ; Allemagne, près de 3500 hommes ; Italie, plus de 2400 soldats, Hollande environ 2000...

    Installés autour de Kaboul, les soldats français remplissent des actions de sécurisation ainsi que des missions d’encadrement des troupes afghanes en opération. Ils sont engagés dans des actions de combat. 6 Rafale et Mirage 2000 participent au dispositif allié de protection des troupes. Ces avions sont appuyés depuis le Kirghizistan et le Tadjikistan par des moyens de transport et de ravitaillement en vol. Enfin, une force navale française opère depuis l’Océan Indien dans le cadre de l’opération Liberté immuable.

    Depuis plus de 6 ans nos soldats contribuent donc à la sécurisation de l’Afghanistan. J’ai une pensée particulière, empreinte de gravité et de considération, pour ceux qui sont là-bas, qui risquent leur vie.

    À ce jour, 14 de nos soldats sont tombés en Afghanistan. Tombés pour une certaine idée de la dignité humaine à laquelle le peuple afghan aspire. Tombés pour qu’il n’y ait plus de 11 septembre. Tombés pour rendre ce monde plus sûr.

    Je sais que votre assemblée soutient nos forces armées et qu’elle ne les oublie pas.

    L’Afghanistan ne doit plus jamais redevenir le foyer du terrorisme. Ce pays encore vulnérable, est un carrefour stratégique sensible où voisinent une Asie cent    rale qui cherche sa voie, un Iran qui biaise avec les règles de la communauté internationale, une démocratie indienne qui lutte contre la menace d’attentats, un Pakistan qui, possédant l’arme nucléaire, est sous la pression des fondamentalistes.

    Mesdames et messieurs les députés,

    Quelle était la situation de l’Afghanistan en 2001 ?

    C’était une dictature médiévale, un foyer de violence, une base arrière du terrorisme international.

    Al Qaïda y avait implanté ses camps d’entraînement.

    Des extrémistes, illuminés par une vision dévoyée de l’Islam, y trouvaient accueil et soutien. Sa population était soumise au joug de fer des Talibans : abolition des droits les plus fondamentaux ; oppression de la femme, intolérance érigée en doctrine de gouvernement ; interdiction de la musique, du théâtre, de la télévision ; destruction des bouddhas de Bamyan ; lapidation publique des condamnés.

    L’Afghanistan d’avant 2001, c’était 15 millions de femmes sans visage, interdites d’école, privées de soins; c’était 30 millions d’Afghans ployant sous le régime du fanatisme et de la haine.

    Depuis 2001, les efforts de la communauté internationale, des autorités locales et du peuple afghan ont commencé à porter leurs fruits !

- L’Afghanistan possède désormais des institutions démocratiques. Les femmes y jouissent de droits similaires à ceux des hommes.
- Le nombre d’enfants scolarisés est passé de 900 000 en 2001 à 6,4 millions aujourd’hui. À Kaboul, il existe désormais 5 universités comprenant 14 facultés et 10 000 étudiants. En matière de santé, la mortalité infantile a baissé de 26%. Aujourd’hui, 80% de la population a accès aux soins contre 8% en 2001. En matière d’infrastructures, 4 000 km de routes ont été construits.
- En matière économique, les pays de l’OTAN ont conduit plus de 1000 projets de développement pour un coût global de plus de 200 millions d’euros. La croissance de l’économie afghane atteint aujourd’hui un rythme de 13%.
- L'Union Européenne a engagé une aide de 3,7 milliards d'euros pour la période 2002-2006. 600 millions ont été annoncés par la Commission européenne entre 2007 et 2010. Ces fonds vont principalement à l'amélioration de l'Etat de Droit, à la réforme des services publics et aux infrastructures.
- À la demande du président Karzaï, la France organisera à Paris, en Juin, une grande conférence, propre à entraîner une mobilisation accrue de la communauté internationale.
- Dans le domaine sécuritaire, l’armée afghane atteint désormais 50 000 hommes et bientôt 80 000. La France prend une part active à la formation de cette armée. L’Union Européenne et les Etats-Unis travaillent à la mise en place d’une police
moderne déjà dotée de 75 000 hommes.
- 70% des incidents sécuritaires sont aujourd’hui cantonnés à 10 % du territoire.

    Tous ces succès, mesdames et messieurs les députés, sont encore insuffisants et fragiles. Très fragiles.

    Ils réclament de notre part de la persévérance, mais également un renouvellement de la stratégie commune. Un renouvellement pour amplifier la sécurisation du pays, approfondir son développement économique et social, accélérer le plein exercice de la souveraineté nationale par les autorités afghanes.

    Ce sont ces objectifs là que le Président de la République fera valoir, demain, à Bucarest. Comme il l’a indiqué lors de sa visite en Grande Bretagne : « la France a proposé à ses alliés de l’Alliance atlantique une stratégie pour permettre au peuple afghan et à son gouvernement légitime de construire la paix. Si ces conditions sont acceptées, la France proposera lors du sommet de Bucarest de renforcer sa présence militaire ».

    Voilà ce qui a été précisément dit, et voilà pourquoi je vous indique que les modalités de cet effort ne sont pas encore arrêtées.

    Le 26 février, le Chef de l’Etat a écrit à ses homologues de l’OTAN pour leur indiquer ces conditions :

- confirmation par les alliés de leur détermination à maintenir leur effort dans la durée ;
- adoption d’une stratégie politique partagée;
- meilleure coordination des efforts civils et militaires sur le terrain ;
- accroissement de l’effort de formation au profit des forces de sécurité afghanes. Il doit permettre une véritable « afghanisation » de la sécurité du pays, c'est-à-dire la prise en charge par les Afghans de leur propre sécurité – et rien ne nous paraît plus important que cette afghanisation, qui dessine à moyen terme l’autonomie de l’Etat afghan, et l’horizon de notre retrait.

    Ces conditions seront débattues demain, et le Président de la République précisera, au regard de vos analyses et aux vues des conclusions du sommet, notre engagement. Celui-ci devra tenir compte de notre dispositif sur place, des réalités de terrain et des réponses de nos partenaires à nos questions. Nos forces armées engagées en Afghanistan peuvent être amenées à s’investir davantage dans les échelons du commandement en particulier à Kaboul, dans la formation de l’armée Afghane, dans les unités réparties dans les provinces d’Afghanistan pour y assurer la sécurité des populations et y garantir les progrès de la reconstruction. Les effectifs pourraient être de l’ordre de quelques centaines de soldats supplémentaires.

    Mesdames et messieurs les députés,

    Derrière notre débat trois voies se dessinent.

    Ou bien nous retirons nos troupes et alors ce serait le signe que nous n’assumons plus nos responsabilités vis-à-vis de l’ONU et que nous rompons la solidarité qui nous unit à nos plus fidèles alliés dont plusieurs s’apprêtent à accroître leurs effectifs. En quelque sorte le sort de l’Afghanistan nous deviendrait indifférent.

    Ou bien nous choisissons le statu quo ; et c’est l’enlisement de nos objectifs et l’impuissance de la France à peser sur la stratégie de la communauté internationale.

    Ou bien nous accentuons nos efforts dans le cadre des conditions que nous avons posées, et alors nous amplifions ensemble les chances de la paix.

    Cette paix pour l’Afghanistan conditionne largement une part de notre sécurité, et donc de notre liberté. C’est un combat difficile mais c’est un combat qui est juste.

Source : Le Figaro du mardi 1er avril 2008.

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