Carte de la Libye (source - Le Figaro)
Après plusieurs semaines de tergiversations qui ont souligné - si tant est que la preuve faisait défaut jusqu’à présent – la division de l’Union européenne, partant la faiblesse intrinsèque de sa politique de Défense, voilà que les faits se sont brutalement accélérés ces dernières 72.00. Alors que l’on commençait à envisager l’écrasement brutal du mouvement populaire libyen par le Colonel Mouammar EL-KADHAFI, le Conseil de Sécurité de l’ONU est parvenu à faire voter, le jeudi 17 mars à 18.00, la résolution 1973 autorisant enfin le recours à la force afin de faire cesser les actes de guerre du dictateur libyen contre son propre peuple.
Point capital, cette intervention - comme pour toute intervention touchant désormais l’Afrique et le Moyen-Orient - ne doit pas apparaître aux yeux des États et des opinions publiques comme une action “néo-coloniale” ou porteuse de pensées économiques dissimulées. Le précédent de l'expédition franco-britannique de Suez (1956) étant encore dans les esprits, la caution de l’ONU, celle de la Ligue arabe, un cadre multinational préféré à celui plus restrictif de l’OTAN ont été recherchés et mis en avant.
Dans ces négociations complexes et difficiles, le rôle de la France a été important et l’événement marquera incontestablement la présidence de Nicolas SARKOZY en matière de politique étrangère. Surmontant l’opposition de la Chine et de la Russie, l’absence de volonté de plusieurs partenaires européens dont l’Allemagne, la France et l’Angleterre avec le soutien des États-Unis - à l’origine réservés – sont parvenus à imposer cette résolution 1973. La Démocratie et les appels à la paix ne seront, donc, pas qu’une pétition de principe quand bien même n’est-il question que de frappes aériennes et en aucun cas d’intervention au sol.
La porte est, cependant, ouverte à une intervention militaire dès jeudi soir. L’ultimatum adressé par les puissances occidentales au Colonel KADHAFI, hier, laisse encore une petite chance à la diplomatie, mais les militaires sont déjà prêts. Depuis le début de la crise, une force navale internationale est déployée au large des côtes libyennes (non sans affaiblir le dispositif de lutte anti-piraterie dans l’Océan Indien…), et les états-majors ont déjà élaborés des plans de frappes aériennes.
Les forces loyalistes poursuivant leur offensive, elles menacent dorénavant la ville de Benghazi située à l’Est du pays. Cetet dernière constitue la dernière position tenue par les rebelles au régime de KADHAFI, et la survie d’un mouvement populaire dont le pacifisme s’est transformé en insurrection face à la violence de la répression est plus que jamais en jeu. L'intervention militaire devient désormais une réalité.
C’est la France qui, la première, passe à l’action dès aujourd’hui. L’opération reçoit le nom de code “Harmattan”, et est intégrée dans un dispositif allié plus vaste: l’opération “Odyssey dawn” ou “Aube de l’Odyssée” (1). À partir de 15.00, des Rafale et des Mirage 2000 de l’Armée de l’Air (2) sont présents dans l’espace aérien libyen pour des missions de supériorité aérienne, ce qui signifie la recherche de la destruction de l’armée de l’Air du Colonel KADHAFI. Rapidement, nos chasseurs s’en prennent aussi à des véhicules blindés au sol afin de neutraliser la menace anti-aérienne, mais aussi de desserrer l’étau autour de Benghazi.
Rafale
Mirage 2000-5 au décollage (source - MINDEF)
Dans ce conflit qui s’ouvre, l’armée libyenne devrait opposer une résistance aussi symbolique que la propagande du Colonel KADHAFI est irrationnelle. Comptant avant la crise un peu plus de 100 000 hommes - militaires, miliciens et gardes révolutionnaires compris -, elle a été sensiblement affaiblie par des désertions importantes au profit du mouvement populaire et de l’insurrection. D’où le recours actuel à une force de plusieurs milliers de mercenaires africains. Son matériel de guerre reste rustique, mais vieillissant. Avions et blindés datent de la Guerre froide, période où la Libye constituait un maillon anti-occidental de la stratégie soviétique en Afrique du Nord. D’après les experts, la principale menace viendrait des systèmes anti-aériens au sol qui, s’ils ne sont pas non plus de dernière génération, n’en gardent pas moins une redoutable efficacité face aux aéronefs (avions et hélicoptères) évoluant à basse altitude. Des batteries de missiles anti-aériens, même classiques, obligeraient nos pilotes à voler bas, les mettant ainsi à portée de MANPADS 9K32 SA-7 Strela 2 (code OTAN Grail) ou, surtout, de ZSU 23-4 Shilka (code OTAN Awl)…
Le SA-7 est un système d'armes dit MANPADS (Man-Portable Air-Defense Systems). Son équivalent américain est le FIM-92 Stinger. Ce sont des systèmes d'armes particulièrement redoutés, notamment entre les mains de terroristes
À l'origine destiné à protéger les colonnes blindées du Pacte de Varsovie, le ZSU 23-4 se présente comme un véhicule blindé anti-aérien, équipé d'un radar et d'un affût quadruple de 23 mm. Dressant un "mur de ferraille", cet engin est particulièrement dangereux pour tout aéronef volant à basse altitude
Au total, c'est une première vague d'une vingtaine d'appareils partis des bases aériennes de Saint-Dizier (BA 113), Nancy (BA 133), Dijon-Longevic (BA 102), Istres (BA 125), et Solenzara (BA 126), qui débute l'opération "Odyssey dawn". 8 Rafale et 4 Mirage 2000 (D et 5) sont coordonnés par 1 avion de veille E3F AWACS, et sont ravitaillés en vol par 6 C135 FR. Ces derniers peuvent ravitailler 4 intercepteurs Rafale sur 5000 km. Dans les prochaines heures, d’autres appareils - cette fois américains, britanniques, canadiens, espagnols, belges, danois, norvégiens, qataris et émriratis - décollant enter autres d’Espagne, d’Italie et de Crète devraient les rejoindre: F15 Eagle, F16 Falcon et Panavia Tornado… L’US Navy qui pour l’instant reste en deuxième rideau se charge d’éventuelles missions de récupération de pilotes abattus (Combat Search and Rescue ou CSAR). Son bâtiment d’assaut amphibie USS Kearsarge LHD 3 - une vaste plate-forme porte-hélicoptères équipée d'un radier immergeable - croise au large de la Libye, et le porte-avions USS Enterprise CVN 65 – arrivé depuis sur zone - se prépare à lancer ses F18 Hornet. Plus d’une centaine de missiles de croisière BGM 109 Tomahawk - 110 en fait - ont cependant déjà été tirés cette nuit sur différents objectifs. Ces frappes de neutralisation des défenses aériennes libyennes - voire peut-être de décapitation (3) - ont été lancées à partir des destroyers USS Stout DDG 55 et USS Barry DDG 52 (4) mais aussi à partir des sous-marins d’attaque USS Providence SSN 719, USS Scranton SSN 756, USS Florida SSGN 728 (5).
Véritable illustration de ce que peut-être aujourd’hui une opération de gestion de crise, “Odyssey dawn” illustre la complexité à mettre en oeuvre une coalition internationale dans un cadre devenu de nos jours - et systématiquement - interarmées et interarmes. Jusqu'à ce qu'un commandement clair et définitif de l'opération soit défini, ce sont les États-Unis qui exercent le commandement car ils sont les seuls à pouvoir le faire - si ce n'est la seule organisation intégrée capable de le faire également: l'OTAN... -, comme ils sont les seuls à disposer de la capacité logistique aérienne et navale indispensable à de telles opérations. Dans le détail, la composante US Air Force est commandée par le Major général Margaret WOODWARD (Ramstein), la composante US Navy par le Vice-amiral Harry B. HARRIS à bord du bâtiment de commandement USS Mount Whitney LCC/JCC 20, et la Joint Task Force (JTF) par l'Amiral Samuel J. LOCKLEAR. La Libye relevant, cependant, d'un commandement de théâtre à savoir le grand commandement régional américain en Afrique - l’US AFRICOM (6) -, c'est le Général Carter F. HAM dont le Quartier général se situe à Stuttgart, qui supervise l'ensemble... De Stuttgart sont actuellement coordonnées les frappes aériennes via les deux grands centres de Défense aérienne européens: celui de Northwood en Grande-Bretagne et celui de Lyon Mont-Verdun, siège du Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (CDAOA), en France.
(1) "Odyssey dawn" est le nom américain de l'opération. Pour les Britanniques, il s'agit de l'opération "Ellamy", et pour les Canadiens de l'opération "Mobile".
(2) Demain (dimanche), le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle devrait appareiller de Toulon, amenant rapidement son groupe aérien: Hawkeye, Super Étendard modernisés et Rafale marine.
(3) Par frappe de décapitation, il faut comprendre des tirs ciblés sur les dirigeants ennemis et leur entourage afin de paralyser la volonté politique adverse.
(4) De la classe Arleigh Burke.
(5) De la classe Los Angeles pour le Providence et le Scranton, et de la classe Ohio pour le Florida.
(6) L’US Africa Command est le dernier grand commandement régional américain. Créé en octobre 2008 afin de renforcer la présence américaine dans cette région du monde, face notamment à la dégradation de la situation dans la corne de l’Afrique, l’US AFRICOM a d’abord été commandé par le Général William E. WARD qui a été récemment remplacé, au début de ce mois, par le Général Carter F. HAM.
Une colonne de l'armée libyenne détruite aux abords de Benghazi (source - The Telegraph)